Aurore Loupenn, l'angélisme incarné [terminé]

• 29 mai 1375 : Naissance d'Aurore
  

• 30 juillet 1381 : Cérémonie du Mélange, Aurore n'est pas immunisée.
  

• 3 février 1389 : Décès de Violette Loupenn, mère d'Aurore.
  

• 14 mars 1389 : Aurore débute ses activités en tant que prostituée.
  

« Ma petite Aurore... si tu avais vu ton Père. Quel homme noble, bon et doux il était. Il représentait parfaitement les valeurs de son rang, qu'il assumait à merveille. Tu te rends compte, Aurore ? Née d'un Marquis. S'il l'avait pu, il m'aurait mariée. Mais tu sais, la noblesse répond à des codes que je ne peux pas contester. Il devait épouse une Dame, une d'aussi bon nom que lui. Mais il ne l'a pas aimée son épouse, oh ça non, il ne l'a pas aimée.
Lui est tombé amoureux de moi alors que j'étais au marché. Il ne savait alors pas d'où je venais. Il me prenait pour une jeune femme de la Haute, tu sais ! Déguisée pour fuir un quelconque danger. C'est ma beauté qui l'a attiré, en premier lieu. Il disait que j'étais la plus ravissante créature qu'on lui ait donné le droit de contempler. Je n'ai jamais eu reçu tant de compliments que de sa part... il passait tout son temps à m'admirer. Je suis désolée que tu n'aies pu le connaître et encore plus que lui n'ait pas eu l'occasion de te rencontrer. Tu as ses yeux et son bon cœur. Mais tu comprends, il ne pouvait tout abandonner, il en avait des responsabilités... »

La fillette, blonde comme les blés, les joues roses comme des pétales de pivoine, acquiesce. Dans la chambre de piètre qualité où l'on a tendu des tentures rouges pour masquer moisissures, fissures et mobilier branlant, mère et fille se retrouvent pour répéter une énième fois l'histoire tant contée.
Aurore a les cheveux de sa mère, la douceur de ses traits. Blottie contre son flanc, elle l'écoute parler de cet amour qui lui a permis de venir au monde. Brodé d'illusions, il dessine pourtant un même sourire sur les minois si semblables l'un de l'autre.
A la porte, l'on toque de trois coups secs. Habituée à l'éternelle danse, la petite se hâte de quitter la pièce, passant en coup de vent à côté de l'homme aux vêtements jaunis de crasse, sentant le vieux chien, le tabac de mauvaise qualité et l'odeur âcre de la transpiration.
La vie du bordel, elle la connaît. Enchantée de courir dans les longs couloirs, sourdre aux geignements simulés qui emplissent la bâtisse passée d'âge, Aurore s'en va jouer. Qu'il est bon d'être l'innocence incarnée.


« Ma chère Aurore... si seulement tu avais eu l'occasion de rencontrer ton Père ! Un homme d'un grand courage, l'un des chevaliers les plus influents de la ville. L'on ne peut se lasser d'entendre parler de ses exploits... »
Une dizaine d'années sont passées et désormais, c'est la fille qui pose une main fraîche sur le front de la mère pour l'apaiser. L'histoire, elle l'écoute avec toujours le même intérêt, pas inquiétée pour deux sous de l'identité pourtant branlante de ce Père inconnu et cependant, tant considéré.
Au fil des récits, l'homme prend un autre rôle, mais garde ses superbes qualités. Le visage sans arrêt changeant est celui d'un être dont elle aurait voulu être aimée.
Entre les lèvres de sa bien-aimée maman que la mort est en train de faucher, le récit est filé de tendresse et de respect. La syphilis, bête immonde, l'emporte. Le corps que l'on traîne jusqu'à lui ôter chaque bribe de vie sera dévoré dans des fourrées. Maladie de putain, maladie qui emporte avec facilité.
Aurore n'est pas triste, on lui laisse les souvenirs et tout le loisir de reprendre un chemin déjà tracé. Demain, elle sera là, quand le géniteur prendra un autre rôle, après-demain encore, quand le masque sera à nouveau échangé. Et ainsi de suite jusqu'à ce que l'on jette le linge tâché de sang sur le visage figé.
Quand ne resteront que les souvenirs, elle pourra alors se targuer de ne pas être l'enfant de n'importe qui, qu'importe la véracité des éléments apportés. C'est le cœur chargé de tristesse et de fierté qu'elle enterre sa mère, laissant sur la terre meuble et au pied du misérable sépulcre de bois, un bouquet de fleurs odorantes.
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Dans la chambre de piètre qualité où l'on a tendu des tentures roses pour masquer moisissures, fissures et mobilier branlant, Aurore se raconte l'histoire à voix-basse, changeant tour à tour le rôle de l'homme pour le faire mire renommé, noble au grand cœur, Comté, Baron, Duc ou Dieu.
A la porte, l'on toque de trois coups secs.


Fille de Marquis, fille de chevalier. Fille de riche commerçant, fille de courageux guerrier. Fille de prostituée, fille d'une passe grassement payée.

Mais surtout, fille de rien et appartenant à tous.